Dans les périodes difficiles de la relation entre un client et son fournisseur, dans le cadre d'un contrat à engagement, le consultant reçoit les plaintes et reproches des deux parties. Rappelons ici que son objectif premier est la réussite du mariage, même s'il est sous contrat avec l'une ou l'autre des parties. Il doit aider son client à réussir mais la réussite repose aussi sur celle de l'autre partie ... ou alors on cesse d'appeler cela un partenariat.
Donc il reçoit les plaintes des deux côtés et s'il fallait résumer à outrance ce serait manque de souplesse vs. manque de maturité.
Mais qu'en est-il vraiment ? Et si la relation client / fournisseur était une partie amicale ?
Ce qui suit doit être lu comme une vision globale et moyennée de nos expériences, elle n'est pas une représentation catégorique et bien sûr elle soustrait les exceptions
Maturité sur l’engagement : Avantage Fournisseurs
Par définition les fournisseurs sont engagés : engagés sur les prix, engagés sur les délais, engagés sur la qualité. Et on est toujours le fournisseur de quelqu’un.
Les "métiers" sont aussi engagées vis à vis de leurs clients finaux. Les directions de DSI, elles aussi, sont engagées vis à vis de leur direction générale et de leurs métiers dans le maintien de systèmes stables et à coûts maitrisés.
On constate assez souvent que si les fournisseurs (ESN ou métiers) parviennent aisément à transmettre cette culture de l’engagement à l’ensemble de leurs équipes, c’est beaucoup plus aléatoire dans les DSI.
On croise souvent des collaborateurs, y compris dans le middle management, qui ne voient que l’engagement du fournisseur et pas le leur et même dans certains cas, qui n’appréhendent pas bien les engagements du fournisseur : SLA (Service Level Agreement) non adaptés ou anormalement serrés ; gratuité sur certaines phases alors qu’elles sont lourdes (transition) ; prix totalement déconnectés de la réalité du marché.
C’est un fait, la notion d’engagement sur une stratégie, des enjeux et des objectifs a du mal à passer les échelons dans certaines DSI.
Difficile de poser une analyse de la situation : moins disciplinés ? autorité moins affirmée ? de mauvaises habitudes de budgets élastiques pendant de nombreuses années (même si la tendance s'inverse fermement) ? Trop de prestataires externes qui, certes n'influencent pas, mais dont le départ génère une crainte ?
Maturité sur le travail à distance : Avantage Clients
C’est un paradoxe, c’est vrai, mais j’ai croisé beaucoup plus de clients très matures dans le travail à distance que de fournisseurs.
Que ce soient des groupes internationaux avec des sites mondiaux ou des DSI nationales mutli-sites, ils arrivent avec une grande efficacité à intégrer leurs équipes autour d’une activité ou d’un projet. Je pense notamment à la DSI d’une grande banque que j’ai trouvée extrêmement efficace dans ce modèle.
Les fournisseurs, passés les appels d’offre, montrent de vraies difficultés à travailler en « remote », avec des équipes distribuées. Enjeux différents, méthodes différentes, modèles économiques différents (quand par exemple le back office facture au temps passé au front office qui porte l’engagement).
Même déployées, les entités locales des entreprises clientes sont sous le même organigramme, la même stratégie et les mêmes méthodes de travail. Les fournisseurs, soit parce qu’ils ont profité d’une croissance externe, soit parce qu’ils sont sur des modèles de Business Unit locales ont d’énormes difficultés à fédérer et intégrer leurs équipes et les objectifs de chacun. Toutes les promesses ou marques déposées prônant le « one team » ne compensent pas ces difficultés. Cela peut aller très loin dans le dysfonctionnement, jusqu’à des litiges entre équipes fournisseurs, des équipes inexistantes alors que vendues dans la proposition.
Pour en revenir à cette fameuse DSI de Banque, leur stratégie était de répartir une activité sur plusieurs sites plutôt que de loger une activité entière sur un site. Ce maillage et finalement la capacité de chacun à tisser un réseau local facilitait largement les projets transverses.
Maturité sur les processus, la qualité et l’industrialisation : Egalité
La mise en place et le respect des processus est un domaine sur lequel les deux parties sont à égalité avec un bon niveau de maturité, voire très bon. Les DSI ont, depuis des années, implémenté du ITIL, du CMMi, du COBALT, etc ... Les fournisseurs ont aussi de leur côté énormément progressé sur l’industrialisation.
La petite différence entre les deux est que côté clients l’application des processus est en best effort, dans pas mal de cas alors que côté fournisseurs elle est non contournable car les engagements reposent dessus.
Après, la difficulté reste d’aligner les deux et de faire converger les parties vers des processus communs. Certains processus client ne sont pas compatibles avec les engagements souhaités : trop lourds, trop longs ou encore trop de parties prenantes impliquées. Et dans l’autre sens des processus fournisseurs qui ne respectent pas les standards ou normes du secteur des clients. Ce travail de convergence peut s’avérer complexe et lourd.
Maturité sur la souplesse : Egalité
Un des reproches que l’on entend souvent dans la bouche du client : notre fournisseur n’est pas souple. On constate que cette notion est très dépendante des hommes qui pilotent de part et d’autre les contrats entre client et fournisseur.
La souplesse ne se conçoit qu’avec une analyse très fine d’une situation, une compréhension très pointue des enjeux et une capacité à prendre le recul nécessaire. Pour que la souplesse ne soit pas une faiblesse.
La souplesse c’est finalement réfléchir en global. Ne pas réfléchir sur un axe en particulier : le contrat, les prix, les engagements, la qualité, les processus, … A ce jeu, aucune des parties n’est véritablement souple. Les fournisseurs sont toujours souples au début, ils disent beaucoup oui, se font malmenés souvent et finissent par ne plus être souples du tout. Les clients sont toujours raides au début, surtout dans les négociations et les mises en place, puis finissent par laisser filer, prendre des libertés, accepter des dérogations qu’ils ne maitrisent plus.
Au final, la période pendant laquelle les deux sont à niveau est très courte, c’est souvent dans la première année de Service Régulier (Run). Par expérience. Dans les litiges, le client ne comprend pas la raideur soudaine alors qu’il a laissé filer le contrat et les engagements réciproques.
Remettre de la souplesse dépend des deux contract managers, de leur capacité à analyser, de leur relation bilatérale, de leur autorité sur leurs propres troupes et sur leur hiérarchie.
Maturité sur les transitions : Egalité
Un client qui demande une transition gratuite et un prestataire qui l’accepte : tout est dit. Cela m’est arrivé quelques fois de devoir piloter pour le compte du client une transition dans ces conditions. Certes, le client pense que le prestataire va se « gaver » pendant 5 ans, on ne va pas en plus investir ; certes le prestataire estime qu’il vient de rentrer la référence du siècle, qu’il va peut-être gagner et rentabiliser sur la durée et que la transition va se dérouler rapidement et facilement.
Or une transition n’est jamais, jamais facile. Les deux parties ont toujours tendance à la minimiser. Et de sa qualité on peut aisément anticiper la réalité de la phase du service régulier : au pire elle sera en crise permanente, au mieux elle ne rentrera pas dans les objectifs initiaux de rentabilité, d’économie, et d’efficacité. Dans ce cas, il est très pertinent de ne plus savoir où on a mis le Business Case initial.
La plupart des transitions sont tout de même démarrées sur des bases budgétées et financées. Là où les clients ont raison, c’est que on a beau s’attendre à un prestataire aguerri, « blindé » d’outils d’acquisition et de méthode, il recommencera tout à chaque fois. Là où les fournisseurs ont raison c’est que la réalité du client est souvent moins rose qu’estimée par le client lui-même et que la transformation est bien plus lourde qu’il ne l’envisageait.
Après, la transition est un projet, voire un programme, et la qualité des patrons de part et d’autre pèse considérablement sur sa réussite. Ce sont des projets de transformation, et cette expérience est bien la première qualité que l’on doit trouver dans ces profils.
En conclusion, on peut se reprocher mutuellement le manque de maturité, elle n'est pas si élevée ni chez les clients ni même chez les fournisseurs. A part quelques uns, mais le niveau de maturité est tel qu'il effraie les clients et a du mal à passer auprès des équipes.